Interview de Bruno Ponty
Faire converger la formation et les besoins de l’entreprise : pour une insertion professionnelle réussie
Les entreprises s’ouvrent, certes lentement mais de manière de plus en plus visible et active, à l’embauche des personnes en situation de handicap. Mais le désir de recruter ces collaborateurs ne suffit pas. Il faut, comme pour les autres embauches, une adéquation entre le poste et les candidats.
L’association Hangagés a été créée par les Missions handicap de 6 entreprises : Bosch, ETDE, Société Générale, Nexter, Quick et la Française des Jeux, auxquelles se sont joint deux partenaires handicap.fr et une agence de communication pour les ressources humaines, TMPNEO et sa filiale Neodialogue. Cette association mutualise la réflexion, pour ses six membres, pour développer le recrutement et l’intégration des personnes en situation de handicap en leur sein.
Bruno Ponty, Responsable Recrutement et de la Mission Handicap de la Française des Jeux, en est le président. Il nous livre son point de vue et celui de Hangagés sur cet aspect de la situation de l’emploi.
Un recrutement compliqué
Dans la majorité des entreprises, le quota de collaborateurs handicapés (6%) n’est pas atteint. Les entreprises, la plupart du temps de bonne volonté, sont donc pénalisées. Pourtant, explique Bruno Ponty, elles cherchent réellement de candidats handicapés et compétents, sur un marché de l’emploi tendu où les chiffres du chômage sont importants en général, et dans le domaine du travailleur handicapé en particulier. Il n’ya que très peu de candidats qualifiés au bout du processus, et il est souvent difficile d’attendre. Il en résulte une insatisfaction certaine de ces entreprises.
« Il faut dépasser cet aspect. Vu d’un angle strictement Ressources Humaines, le recrutement d’un employé handicapé est toujours compliqué, car l’offre est très peu adaptée à la demande. Et dans ce cas, gérer les embauches d’un pourcentage donné de personnes en état de handicap revient à ajouter un critère supplémentaire, donc une contrainte de plus dans le profil recherché ».
Et le critère est complexe. Il rajoute des contraintes géographiques, liées à la mobilité de l’employé et aux moyens de transport adaptés, nécessaires pour rejoindre le lieu de travail. « Mais le problème de la mobilité réduite est relativement marginal, poursuit Bruno Ponty. Elle ne représente que 3 ou 4% de la population handicapée. Certes, c’est la plus visible. Mais ce type de recrutement n’est pas le plus difficile si le poste ne suppose pas de contraintes physiques (emplois tertiaires).
La discrimination, c’est le manque de formation
Le problème est donc ailleurs. Le handicap discriminant c’est ce qui a été provoqué par le handicap - et c’est particulièrement l’arrêt des études qui conduit à une formation incomplète et/ou inadaptée. « Ce n’est pas le handicap en lui-même qui est discriminant, c’est sa conséquence, un manque de qualification ».
En général, les entreprises mesurent le niveau de qualification par l’obtention d’un diplôme d’état. Dans le domaine du tertiaire, le bac en représente le minimum minimorum . Or explique Bruno Ponty, environ 20% de la population handicapée est titulaire du bac, et ce n’est pas un niveau de qualification particulièrement élevé.
« Les entreprises membres de Hangagés recrutent entre bac +2 et Bac +5, continue Bruno Ponty. Mais nous nous retrouvons souvent devant des situations sans réponse, faute de candidats au niveau du profil défini ».
L’inadéquation qualification – marché du travail
Une partie de la population des handicapés en recherche d’emploi possède un niveau élevé de qualification. Mais ces diplômes ne correspondent pas toujours aux métiers porteurs en matière d’emploi créés.. « A l’heure actuelle, poursuit Bruno Ponty, nous recherchons, à Hangagés et presque partout ailleurs, des profils de commerciaux à Bac + 2 ou 3 minimum et des informaticiens à bac + 4 et 5 .. En deuxième ligne, viennent la finance, le support et la logistique. Et enfin, les métiers autour du marketing et de la communication. Ces dernières filière attirent de nombreux étudiants, mais proposent peu de postes durables ».
Comment faire, alors, pour parvenir à ces objectifs, pour dépasser la difficulté à se faire connaître des personnes en recherche d’emploi, pour ne pas passer à côté de celui où celle qui est fait pour le poste ? Pour enfin concilier l’impératif économique et l’impératif humain ? Cela ressemble à une mission quasi impossible. En tout cas très difficile.
Concilier les impératifs économique et humain
« Hangagés est un des moyens que nous expérimentons. Nous sommes un groupe d’entreprises partageant les mêmes valeurs, et qui ont déjà avancé sur ces sujets.
Nous essayons de nous situer en amont. Nous nous sommes rendu compte que, pour attirer les travailleurs handicapés qui correspondront aux profils que nous recherchons, nous devons avoir une image naturelle d’entreprise « handi-accueillante », une entreprise qui montre notre expérience et notre savoir faire dans l’intégration des handicapés, sans que cela soit de la discrimination positive.
Nous sommes bien dans une démarche de production et dans une recherche de performance, la personne handicapée que nous engageons signe souvent un CDD, ou un stage (idéalement un apprentissage, mais les candidats sont encore assez rares) car nous avons besoin d’évaluer comment le positionner dans l’entreprise. Il faut préparer l’environnement et souvent investir dans une formation complémentaire avant de pérenniser un collaborateur compétent et de s’assurer de sa réussite et de son épanouissement ».
« Nous embauchons nos collaborateurs selon les mêmes modes de recrutement qu’un collaborateur normal, avec des processus d’intégration plus méticuleux et qui prennent plus de temps, pour organiser le et adapter le poste de travail et, valider la structure d’un service, »
Préparer l’entreprise à l’embauche d’un handicapé
« Il faut également sensibiliser l’équipe à cette cohabitation. Il faut qu’elle soit prête à accepter ce voisinage. Le handicap peut être gênant pour l’entourage car la société ne nous a pas appris à l’accepter. Pourtant nous sommes désormais amenés à le côtoyer de plus en plus souvent, ne serait-ce par exemple que par le nombre de plus en plus important d’accidentés de la route. L’entreprise ne peut plus les écarter.
Il existe maintenant des personnes compétentes pour former les collaborateurs à cette cohabitation car elle fait partie de la vie. Ce n’est certes pas la grande force des entreprises qui, ne sont pas toujours capables ou volontaires (on le voit sur les problèmes de souffrance au travail) pour garantir un management attentif, Mais les plus avancées témoignent que le handicapé participe lui aussi à leur enrichissement, et pas uniquement parce qu’il permet des économies en taxes et en pénalités. Un travailleur handicapé sait aussi bien travailler que les autres. Il doit donc être traité comme les autres. Les moyens techniques de compenser le plus grand nombre des handicaps existent. Il faut juste mobiliser tous les managers et collaborateurs à faire un petit effort d’attention…..
Un travail long et complexe
Le travail en amont de l’embauche d’un handicapé est un processus relativement long. Et c’est la réflexion et la pratique que conduisent les entreprises membres de Hangagés. « Trouver le bon candidat au bon moment, au bon endroit, cela demande de la chance, poursuit Bruno Ponty. Mais parmi ceux que nous aurons vus, il y en aura probablement un ou deux qui conviendra, à l’un d’entre nous. Si par hasard je trouve un candidat qui conviendrait à une autre entreprise de Hangagés, je lui en fais profiter. Nous ne sommes pas une plate-forme d’emploi mais un lieu d’échange de compétences ».
La situation s’améliore
Mais le tableau n’est pas si noir et désespérant. « Chaque année, commente Bruno Ponty, le seuil de formation des candidats s’améliore et, si cela continue à ce rythme, le problème ne se posera plus, car tout le monde, les handicapés et les autres, seront au même niveau de formation, de qualification et de compétences ».
Il est vrai qu’en France, les associations ont joué un rôle déterminant, plus important que dans les autres pays. Nous sommes certainement les meilleurs dans le domaine de la prise en charge sur le plan médical et paramédical. C’est peut-être la raison pour laquelle nous avons été jusqu’à maintenant beaucoup moins bons que les autres pays sur le plan de l’intégration dans le système scolaire, et donc de l’entreprise !
Bruno Ponty conclut « A Hangagés, nous mutualisons la pénurie, nous partageons les ressources et les expériences, et nous augmentons les résultats. Et nous voulons conserver une petite taille pour pouvoir échanger directement. Toutes les entreprises sont invitées à faire comme nous localement ! »